The Last One
Un orchestre entier semblait jouer dans son crâne ce soir. Cela faisait maintenant deux ans qu'à chaque coucher de soleil, Pachelbel venait délivrer sa plus belle prestation.
Elle trottait toujours dans sa tête. Il savait qu'elle l'avait blessé. Qu'elle le blesserait. Il ne pouvait cependant pas s'empêcher de penser à elle, quand il allait bien, et quand il n'était pas au mieux de sa forme. C'était comme si elle était la seule constante dans sa vie. Toujours présente, toujours absente. Il aimerait la faire disparaître de son existence, et pourtant, cette curiosité morbide entretenait leur relation. Et si cette fois-ci elle ne le décevait pas ?
Après plus d'une trentaine d'années passées au même poste au sein de la même entreprise, Jack était tout simplement fatigué, et ennuyé. Une fois tous les semestres, le grand patron rendait visite aux ouvriers, histoire de voir à quelle vitesse l’argent coulait dans ses poches, Jack imaginait. Une tenue propre était de rigueur. Jack se contentait d’enfiler une cravate tel un collier, par dessus son bleu. Si ses supérieurs voyaient cela comme de l’excentricité et le gratifiait d’un sourire désabusé, Jack était sérieux dans sa démarche. Il était hors de question de salir ses habits de ville, même pour l’homme qui payait son maigre salaire.
De nombreuses nausées avaient fait leur apparition, au fil du temps, entre l'anxiété, l'agitation et l'angoisse qui le terrassaient chaque jour qui passait. Il était devenu irritable, il ne dormait plus, il transpirait constamment, et son cœur battait si fort que chacun de ses membres tremblait en cadence avec le thème de la série "Green Hornet".
Ce n'était pas confortable, et elle était la seule à pouvoir l'aider à combattre ses démons.
Jack déposa son bleu de travail dans son vestiaire, garda sa cravate, récupéra son sac et, partit en direction de l'épicerie la plus proche de son logement. Puisqu'il se déplaçait à pied depuis sa plus tendre enfance, optimiser ses déplacements était l'un de ses passe-temps favoris. Le caissier lui lança un hochement de tête approbateur, servant de témoin visuel pour Jack qu'il avait été aperçu, et reconnu. Il remplit le petit panier en plastique dur puis remplit un grand sac en plastique léger. Il recevait de la visite le jour suivant, il se devait d’accueillir son invité de manière convenable. Malgré ses courses limitées, la différence d'équilibre entre ses deux bras représentait une réelle gêne. Ses douleurs au bas ventre devenaient insoutenables lorsqu'il devait porter quelque chose de plus ou moins lourd. La vue de son immeuble décrépi était la chose la moins stressante qu'il avait dû surmonter de la journée.
Jack déposa ses affaires, ses courses, sa cravate et alla prendre une douche. L'eau réveilla le peu de sens qu'il restait en lui. Des bribes de la musique qu’il avait entendue un peu plus tôt résonnèrent dans son crâne.
« Throw it down, look away
Don't be scared, it's okay
Settle down, set it right
Don't be scared, its alright »
Il regarda du coin de l’œil celle qui le tentait tant, et qui se trouvait maintenant dans sa propre cuisine. Il avança de quelques pas, lui fit face. Jack empoigna la bouteille remplie du liquide ambré et fixa la poutre apparente faisant office de seul décor dans son petit appartement.
"Allez, c'est vraiment mon dernier verre cette fois-ci."